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Conter avec un musicien

Avec un musicien, le conte fait bien. Mais comment construire la chose, une fois que l'envie se concrétise? Comment le duo peut-il fonctionner? Le musicien, c'est une présence, sonor et physique. On peut le cacher, certes, le mettre en coulisse, ou sur un enregistrement. Mais si on veut faire avec, lui faire une petite place... quels principes de fonctionnement inventer? Quelle hiérarchie? Doit-il se mettre aus ervice du conteur ou du conteur? Et comment l'inviter, comme nous le tentons avec notre corps de sortir du registre de l'illustration?

Chaque duo va trouver ses réponses, et un conteur doit accepter que l'équilibre trouvé soit différent en fonction du musicien. Afin de nourrir chaque chemins, voilà quelques pistes:


- le musicien personnage: l'idée est simple: de toutes façons la présence du musicien génère du sens pour le public (costume, postures, mouvements, présence ou effacement, instrument utilisé, regards...). Alors pour éviter que le public donne du sens à l'insu du spectacle, il vaut mieux comprendre et accepter cette responsabilité: le musicien est un personnage. Autant le choisir, ou du moins jouer avec cette problématique. Deux explorations déjà testée sur cette première étape:
le musicien est un personnage tout au long du spectacle, un personnage qui a une place particulière pour les contes, pour le conteur, pour la trame. Ex: le musicien peut être la conscience du conteur, ou un expert sur le sujet traité, qui va se taire ou sortir quand il n'est pas d'accord, rappeler à l'ordre le conteur qui s'égare, ou prendre la parole. Dans Bloc opératoire 42, avec Achille Grimaud et Carlos Mosai, le musicien est un personnage concurrent du conteur (il déborde dans sa zone de parole, il attaque le métier de conteur, il donne son numéro de chambre d’hôtel...).
Autre exploration: le musicien devient de façon passagère l'un des personnages du conte, puis un autre, et encore un autre. C'est une forme de prise d'otage de la part du conteur, mais c'est confortable. Généralement les personnages sont temporairement incarnés par le conteur, ou observé par lui. Grâce au musicien, on obtient une troisième possibilité: on propose un support, une image, et plus cette image est éloignée de ce que le conteur commençait à partager avec le public, plus l'effet comique fonctionne. Tout dépend aussi de ce que le musicien en fait: si aucune réaction l'effet repose sur la qualité de prise d'otage du conteur. S'il réagit, il peut aller dans le sens du conteur (tenter un mime du personnage, ou une illustration avec son instrument, ou un commentaire heureux d'être pris pour un beau prince, un roi, un puissant sorcier...), ou vouloir le contredire (s'il est déçu d'être comparé à un crapaud, un cafard, un super héro...). Bref, en fonction de la réaction du musicien, peut se construire ou non un terrain d'improvisation.

L'écueil sur ce chemin est d'oublier en cours de route ce que nous avons proposé au public, et risquer de perdre en cohérence ou de faire du gâchis en n'investissant que ponctuellement le sens qu'on a commencé à construire. Il est intéressant de voir comme chaque musicien aura son propre répertoire de réaction à développer, en fonction de sa personnalité. L'un s'épanouira dans le mime, un autre plus dans une occupation de l'espace, un troisième prendra la parole, un autre encore ira se cacher pour mieux contre attaquer, ou restera en retrait, concentré et se laissant faire...


- le musicien qui commente: un peu à la façon de Jeff Leiritz avec son saxophone. Lorsque l'instrument est trop bruyant pour accompagner les phrases, il se glisse entre deux, ponctue la voix du conteur par un contrechant. Un musicien soliste peut alors intégrer à son intervention des mimiques, des regards, des commentaires de corps, des soupirs. Il devient un canal d'interprétation de l'histoire.
On peut alors explorer une histoire dite sans commentaire de la part du conteur, et ces commentaires sont entièrement à la charge du musicien.
On peut également explorer comment les commentaires de chacun se répondent (exemple: le conteur parle d'un beau prince en étant enjoué, naïf, le musicien soupire d'agacement en songeant aux filles que le prince va lui voler).

- les tableaux: et si le musicien entrait dans la composition de tableaux? Le conteur se fait son cinéma, il évolue dans son film, décrit et vit ce qu'il voit, et parfois par son corps il donne à voir. Si sur ces instants le musicien entrait dans la composition du tableau, pas juste par sa musique, mais aussi par son corps... il n'aura pas forcément la même propreté, la même présence qu'un comédien, mais il aura un atout avec lui: son instrument, qui est pour lui un refuge, et un bon pourvoyeur de charisme. Étant souvent assis (en fonction de ce que demande l'instrument), et pouvant parfois être debout, le musicien peut naturellement avoir une posture, une échelle complémentaire à ce que le conteur propose. Si on ajoute le sol, nous avons trois plans possibles pour composer une image.
Exploration: le conteur parle de la sentence d'un roi à l'encontre du héros de son histoire, le duo tente de proposer une image d'autorité, pouvant se tinter de commentaires d'injustice, de bienveillance, de stupidité, ou de tyrannie... Certains thèmes pourront ainsi être choisis dans l'histoire, comme étant des rendez-vous de tableau à composer.
Autre piste: le toucher. Le conteur raconte en touchant le musicien. Dès qu'il le lâche, le musicien peut ou doit jouer. Quand il le retouche, le musicien doit s'arrêter. Cette contrainte de proximité ou d'éloignement force la création d'image et de sens, ainsi qu'une relation au musicien. Il est possible ensuit de donner le pouvoir au musicien: quand il touche le conteur, celui-ci a le droit de parler, et quand il le lâche, le conteur doit se taire. Ainsi le musicien peut explorer tant qu'il veut en musique ce que le conteur a proposé, avant de reprendre une dose de mots. Il y a des problématiques d'autorité, de concurrence, de sadisme, ou de jugement par rapport à l'histoire racontée, qui peuvent rapidement s'installer dans ce jeu.


- Présence de l'instrument: l'instrument peut aussi devenir personnage, détaché de la volonté ou du commentaire du musicien. Ainsi, avec un conteur plus un musicien nous obtenons non pas deux mais trois personnages sur scène. Tout dépend de la capacité du conteur à proposer au public une lecture distinguée du couple musicien/instrument, et de ce que le musicien peut inventer de désaccords et d'harmonie dans son couple imaginaire. On peut alors revisiter chaque exercice avec cette dimension nouvelle.